Notons que, le mois dernier, Microsoft a accusé Google de mener des « campagnes fantômes » visant à affaiblir sa position auprès des régulateurs en finançant secrètement des groupes de pression hostiles.
Microsoft, acteur incontournable du cloud, et le contexte de l'enquête
Avec son service Azure, Microsoft occupe une position dominante sur le marché du cloud computing, rivalisant directement avec Amazon Web Services (AWS) et Google Cloud. Ces services sont essentiels à de nombreuses entreprises et organisations, fournissant des solutions de stockage, de traitement de données, et d’intelligence artificielle.
Cependant, cette domination suscite des inquiétudes, notamment en ce qui concerne les conditions contractuelles imposées par Microsoft, les coûts de migration vers des plateformes concurrentes, et l’interopérabilité des services. De nombreux concurrents et clients dénoncent des pratiques qu’ils jugent anticoncurrentielles.
Cette enquête intervient dans un climat de durcissement mondial contre les pratiques des Big Tech. En Europe, Microsoft a déjà fait l'objet de critiques similaires concernant ses pratiques de licence et son intégration de produits comme Teams dans les abonnements Microsoft 365. Ces pratiques ont été perçues comme une tentative de verrouillage du marché, nuisant aux concurrents et limitant les choix pour les consommateurs.
Aux États-Unis, les autorités antitrust semblent vouloir emboîter le pas à l’Union européenne, renforçant leur vigilance sur les marchés numériques. Si cette enquête est confirmée, elle pourrait s’inscrire dans une série d’efforts visant à garantir une concurrence équitable dans l’économie numérique.
Le dernier coup de la présidente du FTC sous le mandat de Biden
La FTC examine les allégations selon lesquelles Microsoft abuse de son pouvoir de marché dans le domaine des logiciels de productivité en imposant des conditions de licence punitives pour empêcher les clients de transférer leurs données de son service cloud Azure vers les plateformes de ses concurrents, selon des personnes ayant une connaissance directe de l'affaire.
Parmi les tactiques examinées figurent l'augmentation substantielle des frais d'abonnement pour ceux qui quittent l'entreprise, l'imposition de frais de sortie élevés et l'incompatibilité présumée de ses produits Office 365 avec les services cloud de ses concurrents.
La FTC n'a pas encore demandé officiellement de documents ou d'autres informations à Microsoft dans le cadre de l'enquête, ont déclaré ces personnes.
La remise en cause des pratiques commerciales de Microsoft dans le domaine du cloud constituerait le dernier coup de force de Lina Khan, présidente de la FTC, à l'encontre des grandes entreprises technologiques. Khan, qui est devenue l'ennemie publique de la plupart des négociateurs de Wall Street, devrait être remplacée après l'entrée du président élu Donald Trump à la Maison-Blanche l'année prochaine.
Si le successeur de Khan n'adoptera peut-être pas une position aussi ferme, on s'attend à ce que les candidats potentiels continuent de cibler les entreprises de la Big Tech, qui ont suscité l'ire des deux partis à Washington. Le parti républicain a accusé les plateformes en ligne de censurer les voix conservatrices.
La décision de lancer une enquête formelle interviendrait après que la FTC a demandé aux acteurs du secteur et au public de lui faire part de leurs commentaires sur les pratiques commerciales des fournisseurs de services de cloud computing. Les résultats obtenus en novembre de l'année dernière ont révélé que la plupart des réponses soulevaient des préoccupations en matière de concurrence, a déclaré l'agence à l'époque, notamment en ce qui concerne les pratiques en matière de licences logicielles qui limitent la possibilité d'utiliser certains logiciels dans les écosystèmes d'autres fournisseurs de services d'informatique en nuage.
La FTC a également mis l'accent sur les frais facturés aux utilisateurs qui transfèrent des données hors de certains systèmes sur le cloud et sur les contrats de dépenses minimales, qui offrent des remises aux entreprises en échange d'un niveau de dépenses déterminé.
Microsoft a également fait l'objet d'un examen minutieux de la part de régulateurs internationaux sur des questions similaires
L'autorité britannique de la concurrence et des marchés (Competition and Markets Authority) enquête sur Microsoft et Amazon après que son homologue Ofcom a constaté que les clients se plaignaient d'être « enfermés » dans un fournisseur unique, qui offre des remises pour l'exclusivité et facture des « frais de sortie » élevés pour quitter l'entreprise.
Dans l'UE, Microsoft a évité une enquête formelle sur ses activités de cloud computing après avoir conclu en juillet un accord de plusieurs millions de dollars avec un groupe de fournisseurs de cloud computing rivaux.
En 2022, la FTC a intenté une action en justice pour bloquer l'acquisition par Microsoft du fabricant de jeux vidéo Activision Blizzard, d'une valeur de 75 milliards de dollars, car elle craignait que l'opération ne nuise aux concurrents de Microsoft dans le domaine des consoles Xbox et des jeux sur le cloud (cloud games). Un tribunal fédéral a rejeté la tentative de blocage de la FTC, qui a fait l'objet d'un appel. Entre-temps, une version révisée de l'accord a été conclue l'année dernière après avoir été approuvée par la CMA britannique.
Une lecture critique des motivations et des impacts
L’annonce d’une enquête potentielle soulève plusieurs questions fondamentales. D’une part, elle reflète une prise de conscience des régulateurs face aux déséquilibres croissants dans le secteur technologique. D’autre part, elle met en lumière les limites du cadre réglementaire américain actuel, souvent critiqué pour sa lenteur et son inefficacité face à des entreprises mondialisées et technologiquement avancées.
Cependant, certains analystes remettent en question la véritable portée de ces actions. Les géants comme Microsoft disposent de moyens financiers et juridiques considérables pour repousser les enquêtes ou les traduire en négociations. En outre, les régulateurs risquent de se heurter à la complexité technique des services cloud, rendant difficile une régulation réellement efficace.
Enfin, il est légitime de s’interroger sur l’impact potentiel pour les entreprises clientes. Une régulation plus stricte pourrait conduire à une augmentation des coûts ou à des restrictions dans l’offre de services, affectant directement les utilisateurs finaux.
Les dépenses consacrées aux services cloud ont atteint 561 milliards de dollars en 2023
Depuis sa création il y a 20 ans, l'infrastructure et les services de cloud computing sont devenus l'une des activités les plus lucratives des grandes entreprises technologiques, qui externalisent le stockage de leurs données et l'informatique en ligne. Plus récemment, la demande de puissance de traitement pour la formation et l'exécution de modèles d'intelligence artificielle a donné un coup d'accélérateur à cette évolution.
Les dépenses consacrées aux services cloud ont atteint 561 milliards de dollars en 2023 et le cabinet d'études de marché Gartner prévoit qu'elles passeront à 675 milliards de dollars cette année et à 825 milliards de dollars en 2025. Microsoft détient une part de marché d' environ 20 % sur le marché mondial du cloud, derrière le leader Amazon Web Services qui détient 31 %, mais presque le double de Google Cloud avec 12 %.
Microsoft accuse Google de financer des campagnes pour la discréditer auprès des décideurs politiques
La rivalité entre le trio et les petits fournisseurs est féroce. Le mois dernier, Microsoft a accusé Google de mener des « campagnes fantômes » visant à affaiblir sa position auprès des régulateurs en finançant secrètement des groupes de pression hostiles.
Microsoft a également affirmé que Google avait tenté de faire échouer son accord avec les fournisseurs de cloud de l'UE en leur offrant 500 millions de dollars en espèces et en crédits pour qu'ils rejettent l'accord et poursuivent leur action en justice.
Envoyé par Microsoft
Cette initiative des régulateurs américains constitue néanmoins un signal fort pour l’ensemble du secteur technologique. Si Microsoft est effectivement mis sous enquête, cela pourrait ouvrir la voie à une surveillance plus large des pratiques des Big Tech, et pas seulement dans le cloud.
À terme, cette affaire pourrait redéfinir les relations entre les régulateurs, les entreprises technologiques et les consommateurs, posant une question cruciale : comment garantir un équilibre entre innovation technologique et protection de la concurrence ?
Les prochaines étapes de cette enquête seront à suivre de près, car elles pourraient influencer non seulement Microsoft, mais l’ensemble du paysage numérique mondial.
Sources : Microsoft dénonce des « campagnes fantômes de Google », Gartner, NYT, Statista, enquête sur le marché des services cloud par l'autorité britannique
Et vous ?
Que pensez-vous des propos de Microsoft concernant les « campagnes fantômes de Google » pour la décrédibiliser ? Est-ce crédible ou non selon vous ?
Les accusations de pratiques anticoncurrentielles dans le cloud sont-elles justifiées, ou relèvent-elles d’une concurrence déloyale entre acteurs ?
Les conditions contractuelles de Microsoft pour ses services cloud favorisent-elles réellement un verrouillage du marché ?
La domination de Microsoft dans le cloud est-elle due à des pratiques abusives ou simplement à sa capacité à répondre aux besoins des consommateurs ?
Les États-Unis devraient-ils adopter un modèle plus proche de l'Union européenne en matière de régulation des Big Tech ? Pourquoi ou pourquoi pas ?